L’hypnose médicale de plus en plus présente à l’hôpital
Bien loin des clichés théâtraux que l’on peut voir à la télévision ou au cinéma, l’hypnose médicale fait une douce entrée à l’hôpital. Grâce à elle, certains médecins et infirmières se réapproprient un mode de relation avec leurs patients qui s’avère particulièrement bénéfique pour soulager les douleurs chroniques ou aiguës.
Soins douloureux, gestes invasifs, migraines, algies abdominales, accompagnement à l’anesthésie et en obstétrique, soins palliatifs, soins dentaires, d’urgence, pédiatriques… Le champ d’application de l’hypnose médicale est infini.
Pour mieux comprendre ce que les patients peuvent en attendre, 66 Millions d’IMpatients a suivi le docteur Jean-Marc Benhaiem, médecin en médecine interne et hypnothérapeute à la Pitié-Salpêtrière à Paris et Ambroise Paré à Boulogne-Billancourt.
Le diplôme universitaire
Depuis 2001, sous l’impulsion du docteur Benhaiem, un diplôme universitaire a été mis en place à la Faculté de Médecine de Paris VI. Il est réservé aux médecins, sages-femmes, chirurgiens-dentistes déjà en activité ou étudiants en fin d’études. « Bien entendu, au cours de leur cursus à la Faculté de Médecine, les étudiants entendent parler d’hypnose et notamment des travaux de Charcot, mais jusque-là rien n’avait été officialisé », précise le docteur Benhaiem. Depuis sa création, le diplôme universitaire (DU) a fait des émules, et désormais une petite dizaine d’universités le propose, à Bordeaux, Nantes, Toulouse ou Nice par exemple. Le succès de la pratique de l’hypnose en milieu médical est grandissant à tel point que pour la rentrée prochaine, une liste d’attente a été mise en place à l’université de Paris VI car il y a déjà plus d’inscrits que de places dans l’amphi !
Les formations dans les hôpitaux
Le succès est également au rendez-vous au Centre hospitalier de Saint-Denis (93), où le docteur Isabelle Marin, responsable de l’équipe mobile de soins palliatifs, a organisé une formation à l’hypnose médicale pour le personnel soignant de l’hôpital. La formation se déroule sur 3 jours et face au nombre de candidats intéressés, l’hôpital a été obligé de procéder à un tirage au sort. Ce n’est que partie remise pour les recalés, une prochaine session sera organisée à la fin de l’année.
Aujourd’hui, à Saint-Denis, c’est donc le dernier jour de cette formation. Le docteur Benhaiem assure les dernières heures d’enseignement et 66 Millions d’Impatients s’est glissé parmi les stagiaires.
« L’hypnose est à la mode. Depuis un an ou deux, je réponds de plus en plus à des demandes de formation en milieu hospitalier. Je dois me rendre bientôt aux Mureaux, à Saint-Brieuc, à Carcassonne et Colmar », explique le docteur Benhaiem.
Une belle approche soignant-patient
Parmi la trentaine de stagiaires de Saint-Denis quelques uns ont déjà expérimenté l’hypnose sur un membre de leur famille, un ami, entre collègues. Les premiers retours sont plutôt positifs. Une douleur dentaire et une autre lombaire soulagées. C’est un bon début, même si tous ces professionnels de santé n’attendent évidemment aucun miracle et savent qu’il faudra aller soigner la dent malade. Mais quelques uns ont osé se lancer directement sur le terrain, avec leurs patients, et leurs expériences témoignent des premiers succès et des premières difficultés également. En effet, les médecins et infirmiers présents sont tous très intéressés par l’hypnose, mais chacun doit trouver comment l’appliquer dans son service… Certains sont aux urgences, d’autres en obstétrique ou en néonatalité, d’autres encore en pédiatrie ou en soins palliatifs. Chacun a des contraintes, et le bruit, le passage, la pression sont autant d’obstacles à la pratique de l’hypnose. Pourtant en les écoutant exposer leurs expériences, une évidence apparaît. Ils ont tous porté une attention particulière à leur relation avec le patient. Ils ont pris le temps d’évaluer les préoccupations, l’état d’angoisse, l’environnement du malade et se sont mis à son écoute, puis ils ont tenté de choisir les mots les plus justes pour les rassurer, voire les apaiser et les soulager. Quels que soient les résultats des séances d’hypnose, la relation soignant-patient est, dans tous les cas, passée au premier plan.
Choisir ses mots : l’hypnose conversationnelle
La pratique de l’hypnose à l’hôpital peut commencer de façon très informelle, simplement dans cette approche soignant-patient et dans le choix des mots. Des mots bienveillants, positifs. On est alors plus certainement dans un processus de suggestion que d’hypnose, et déjà pourtant on peut calmer les situations délicates voire traumatisantes. Prenons l’exemple assez banal d’une piqûre. Le simple fait que le soignant dise « Respirez profondément, j’y vais » au lieu de « Attention, je vais piquer », change l’appréhension du patient face à ce soin. Transposez cela sur un geste invasif ou un soin douloureux comme un pansement chez un grand brûlé et imaginez que le médecin ou l’infirmier prenne davantage de temps pour écouter, apaiser le patient et le guider vers une zone rassurante dans son esprit. Un endroit où il se sentirait serein, où il lâcherait prise avec la situation angoissante qu’il est en train de vivre. Cet endroit, c’est ce que l’on appelle en hypnose la « safe place », car cette simple promenade en pensées, habilement dirigée par le soignant, est une des bases de l’hypnose. Rien de théâtral donc, il s’agit principalement d’écoute, d’attention, et de savoir choisir les mots qui rassurent. Cela semble alors être un jeu d’enfant, cependant l’hypnose peut se révéler très puissante. Le docteur Benhaiem raconte d’ailleurs aux stagiaires de Saint-Denis une séance un peu particulière vécue avec un patient qui était amateur de chute libre. Une collègue hypnothérapeute l’avait donc guidé dans les airs mais elle a vu au cours de la séance que le patient était plutôt nerveux à un certain moment… et pour cause, à la fin de la séance, le patient lui a dit qu’elle avait oublié de lui dire d’enfiler son parachute avant de sauter ! L’évocation est si puissante sous hypnose qu’il est possible de régler des problèmes par le virtuel et l’imagination.
L’évaluation de la douleur
L’attention portée à la relation et le choix des mots vont donc déterminer un premier socle pour l’hypnothérapeute. Ce socle peut servir lors de l’une des grandes questions autour de la douleur soulevée à l’hôpital, celle des fameuses échelles d’évaluation de la douleur, estimée par le patient. Si le malade ne parle pas de lui-même de douleur, il vaut mieux éviter d’aller la titiller, d’utiliser des mots qui l’induiraient et sonneraient l’alerte dans le cerveau du patient. En revanche, si elle est clairement formulée par le patient, il est inutile de l’évoquer par ellipses ou de la minimiser. En matière de souffrance, beaucoup de choses se passent au niveau mental. Notre corps a le pouvoir de créer sa propre morphine, encore faut-il aider le patient à sortir de la panique ou de la dramatisation qu’il ressent. C’est là tout l’enjeu de l’hypnose. Passer d’une situation d’enlisement à une situation de relâchement. Pour y parvenir, l’hypnothérapeute va accompagner le patient vers un état de transe. Le mot peut faire peur, mais il s’agit tout simplement de créer une rupture avec la réalité du patient.
Le docteur Benhaiem explique qu’il s’agit de « lâcher la volonté pour que le corps existe à nouveau, car il était étouffé par les efforts ». Il faut bien comprendre que chaque séance d’hypnose est unique. Déjà, comme nous l’avons vu plus haut, parce que chaque patient à une « safe place » bien personnelle, ensuite parce que le thérapeute va s’adapter au contexte pour créer l’état de rupture. Tantôt il choisira de demander au patient de visualiser sa douleur comme un objet qui se transforme, tel un glaçon qui fond ou un ballon qui se dégonfle, tantôt il tentera de le déstabiliser et de créer une confusion dans l’esprit du patient, ou encore d’empirer la situation pour atteindre un point de non retour. On pourrait prendre l’exemple de quelqu’un qui aurait très froid et lui proposer de se glisser dans un bain d’eau glacée puis d’imaginer ajouter, petit à petit, de l’eau chaude pour se réchauffer.
La part de résistance
Il y a, bien évidemment, une part aléatoire. Comme dans n’importe quel traitement, la résistance du patient est déterminante. Lors de la formation à Saint-Denis, une infirmière en obstétrique raconte que les femmes qui arrivent avec des contractions douloureuses et ont fait, à l’avance, le choix d’une péridurale sont très difficiles à soulager. En effet, elles attendent la péridurale comme LA solution à leur mal et ne sont, en général, pas très réceptives à l’hypnose. En effet, l’hypnose contacte ce moment « magique » où l’on ne s’attend plus à rien. C’est l’une des théories de François Roustang, que 66 Millions d’Impatients a rencontré aux côtés du docteur Benhaiem, lors d’un cours donné aux étudiants du Diplôme Universitaire à Paris VI. Il parle du « moment crucial de l’entrée en transe, qui est ce moment où l’on a plus rien à perdre ». C’est un peu comme un couple qui n’arrive pas à avoir d’enfant naturellement et dont la femme tombe enceinte le jour où ils adoptent.
Alors 66 Millions d’Impatients a voulu essayer…
Le meilleur moyen de se faire une idée étant de tenter l’expérience, je me suis lancée. Lors de ce cours à Paris VI, François Roustang propose de me faire vivre une séance devant les étudiants. Comment refuser puisque François Roustang est l’un des plus grands experts en hypnothérapie en France ? Il se trouve que j’ai des problèmes de tendinite à l’épaule accompagnée de contractures, que ce matin ma nuque est douloureuse et qu’une migraine pointe son nez. Légèrement sceptique sur ma capacité à me laisser aller devant la centaine d’étudiants présents ce matin-là, je suis malgré tout curieuse et enthousiaste. François Roustang me propose de m’assoir confortablement et me demande quelles sont les zones de mon corps où je me sens bien. Mes jambes, mon bassin vont bien. Il me dit alors de prendre le temps de ressentir ces zones où je me sens « soutenue ». Et bizarrement, ce seul mot déclenche un bien-être étonnant. Comme si le haut douloureux de mon corps se laissait envahir par le bas qui va bien. Puis François Roustang me guide pour un petit voyage en pensées, où il m’invite à me libérer, à laisser derrière moi mes problèmes de santé, à envisager que tout est à nouveau possible. Il prononce peu de mots, laissent flotter beaucoup de silences pour me laisser le temps de profiter de ces moments de liberté. Car oui, j’ai vraiment profité de cette promenade agréable qui a duré peut-être 15 à 20 minutes et a effacé ma migraine. Le plus intéressant est que dans les jours qui ont suivi, j’ai eu une vraie migraine, et qu’aux moments où les douleurs étaient vives, en me recentrant sur mes jambes et mon bassin qui ne me faisaient pas souffrir, et en repensant à ce mot « soutenue », je suis parvenue à calmer la douleur. On touche alors à une forme d’auto-hypnose. « On peut apprendre au patient à ne plus avoir mal », ajoute le docteur Benhaiem alors que je lui fais part de mon ressenti sur cette séance.
Une guérison possible à travers l’hypnose ?
Comme nous l’avons vu plus haut, même si une séance d’hypnose peut soulager la douleur de quelqu’un qui souffre d’une rage de dent, une visite chez le dentiste est souvent inévitable pour soigner la dent. En réalité, l’hypnose est souvent utilisée comme un complément au traitement. Lors de douleurs aiguës, comme pour une anesthésie, l’équipe soignante va s’en servir pour calmer le patient. C’est le cas du Docteur Lauriane Bordenave, médecin anesthésiste à Gustave Roussy, qui pratique l’hypnose au quotidien avec ses patients. « Les patients qui s’endorment plus calmes grâce à l’hypnose se réveillent plus sereins, moins douloureux et moins fatigués », explique-t-elle dans une interview accordée à 66 Millions d’Impatients, que vous pouvez lire ici.
Selon le docteur Benhaiem, certaines maladies peuvent même trouver une voie de guérison à travers l’hypnose. Les maladies infectieuses ne sont évidemment pas concernées, mais cela fonctionne pour de nombreuses souffrances, comme les migraines, dans lesquelles les malades parfois « s’installent ». Le docteur Benhaiem a commencé sa carrière à Ambroise Paré, au moment où s’est créé le centre de traitement de la douleur. Très vite il s’est intéressé au traitement des douleurs chroniques, et obtient aujourd’hui de bons résultats grâce à l’hypnose :
«Au bout de quelques séances, les patients migraineux, par exemple, me disent qu’ils ne pensent plus à leurs crises, c’est comme si cela ne les intéressait plus. Dans de tels cas, on ne peut pas parler de médecine complémentaire, au sens où l’entend le corps médical et la sécurité sociale. Je regrette d’ailleurs que l’hypnose ne soit pas prise en charge par l’assurance maladie. Pour moi, il n’y a pas de bonne ou de mauvaise médecine. Un traitement médicamenteux ne fonctionne pas à tous les coups, pourtant on ne remet pas en cause qu’il s’agit de médecine. La bonne thérapie, c’est celle qui guérit, et c’est le cas de l’hypnose médicale sur certaines pathologies.»