Hypnose, le pouvoir de se transformer
Une des clés de l’efficacité de l’hypnose : sa capacité à débrancher les automatismes et à favoriser la flexibilité psychologique. Un atout analysé par la journaliste Betty Mamane dans son dernier livre publié chez Belin en partenariat avec Cerveau & Psycho. Extraits.
omme le révèlent les neurosciences, l’hypnose modifie nos processus cognitifs et sensoriels. Elle entraîne à revisiter la réalité et la perception que l’on en a et, par là même, à développer des comportements et des facultés inédites. L’hypnose a ainsi la particularité de désamorcer certaines réactions programmées de notre cortex. Un test connu des psychologues, mis au point par James Stroop en 1935, consiste à dire rapidement de quelle couleur sont les lettres utilisées pour un mot désignant une couleur différente. À savoir par exemple : le mot « bleu » écrit en rouge. Un temps d’hésitation est alors tout à fait naturel car notre cerveau se trouve déstabilisé face à deux informations qui lui semblent contradictoires : spontanément on a tendance à lire le mot (bleu), alors qu’ici il est demandé d’indiquer sa couleur (rouge). En 2012, l’équipe d’Amir Raz, du département de psychiatrie de l’université McGill, a eu l’idée de faire réaliser ce test à des sujets après une séance d’hypnose. Et ils l’ont mieux réussi que d’autres qui n’avaient pas été hypnotisés.
Débrancher les automatismes
Les chercheurs ont ensuite réitéré le même type d’expérience mais impliquant les perceptions auditives : les participants sont installés face à un écran qui projette l’image d’une personne en train de parler et il leur est demandé de noter les sons qu’ils perçoivent. Cependant, ce qui n’est pas précisé aux volontaires, c’est que le seul son émis est « ba », alors qu’à l’image, la personne prononce d’autres syllabes comme « pa » ou « fa ».
L’incohérence entre les deux messages (entre le « ba » entendu et le « pa » ou la prononciation du « pa » ou du « fa » qui se dessine sur les lèvres) fait que 75 % des sujets notent un son erroné. C’est une conséquence de « l’effet McGurk », du nom du psychologue qui l’a mis en évidence. Preuve que notre cerveau combine automatiquement les dimensions visuelle et auditive d’un message. S’il y a une incohérence entre les deux, la perception se brouille.
Dans un second volet de l’expérience, l’expérimentateur annonce aux participants qu’il va les hypnotiser pour les rendre plus réceptifs au test : « Pensez comme dans un rêve éveillé, et laissez vos paupières se fermer doucement, relâchez vos épaules, vos muscles, imaginez que vous êtes très lourds, et tout en écoutant ma voix, je voudrais que vous remarquiez à quel point il est facile de vous concentrer sur ce que vous entendez, et de repérer les sons. Votre sens de l’ouïe domine tout le reste. Ce super sens auditif va être très important quand vous allez refaire l’exercice sur l’ordinateur. Avec cette aptitude particulière, vous pourrez repérer immédiatement le son que vous entendez. » Après cette suggestion hypnotique, le taux d’erreur sur la perception du message sonore tombe de 75 % à 25 %. La démonstration est ainsi faite qu’il est possible, sous hypnose, de déprogrammer des réactions ou des perceptions qu’on pensait complètement automatiques.
« Cela soulève des questions très importantes sur la façon dont nous pouvons agir sur le comportement humain, et aider certaines personnes à le changer, remarque Amir Raz. Beaucoup de comportements dont nous souffrons, dans lesquels nous sommes enfermés, et dont nous n’arrivons pas à nous libérer, sont des comportements devenus automatiques. »
Mieux jouer de nos sens
Certaines personnes ont la capacité naturelle de coupler deux modalités sensorielles de natures différentes : un parfum et un son, un chiffre et une couleur, un goût à une forme, etc. Ce mélange des sens s’appelle la synesthésie. Cette prédisposition serait présente chez le nouveau-né et disparaît progressivement au cours de son développement, sauf chez environ 4 % des individus chez qui elle persiste toute la vie. Il semblerait que beaucoup de synesthètes soient des artistes, à l’instar par exemple du peintre russe Vassily Kandinsky qui « peignait des musiques ». Le fait d’être synesthète pourrait aussi entraîner une meilleure capacité d’analyse et de mémorisation. Cette association des sens agirait probablement à la façon dont on utilise des lettres en couleurs pour favoriser l’apprentissage de l’alphabet chez les enfants. Or des études montrent que cette aptitude peut être développée sous hypnose. En 2009, le Pr Roi Cohen Kadosh, chercheur en neurosciences à l’université de Londres, a réalisé l’expérience suivante. Pendant une séance d’hypnose, il suggérait à des volontaires : « À chaque fois que vous verrez le chiffre 3, la couleur rouge apparaîtra. » Et après la séance, les personnes lisant le chiffre 3 voyaient la couleur rouge apparaître. De plus, elles ne parvenaient pas à distinguer le chiffre 3 écrit sur un fond rouge. Tout comme c’est le cas des synesthètes de naissance qui lient chiffres et couleurs.
Pour le Dr Jean-Marc Benhaiem, hypnothérapeute au centre d’étude et de traitement de la douleur de l’Hôtel-Dieu à Paris, cette synesthésie provoquée tient sans doute à la particularité du fonctionnement cérébral sous hypnose qui entraîne la mise en relation « non pas de deux ou trois aires sensorielles, mais d’une multitude d’aires cérébrales ». Ce qui expliquerait selon lui la facilité à modifier les perceptions sous hypnose, et se révèle un outil précieux en hypnothérapie : « Ainsi un objet peut être lié à un dégoût, une situation autrefois pénible, reliée à une sensation agréable. Le soin par l’hypnose poursuit ce but : défaire des associations, en créer d’autres, bénéfiques. »
Penser autrement
Le processus hypnotique, en passant de la focalisation de l’attention à un état de veille particulier, entraîne le cerveau à une gymnastique bénéfique. En effet, deux vastes réseaux cérébraux fonctionnent en opposition de phase. Le réseau « par défaut », activé quand l’esprit vagabonde, entraîne à l’introspection permettant, par exemple, d’envisager l’avenir en se fondant sur ses expériences passées. Son activité est maximale quand nous ne faisons rien, mais diminue dès que nous réalisons une tâche cognitive.
À l’inverse, le réseau attentionnel est très peu actif, voire inactif, au repos, mais son activité augmente au cours d’une tâche cognitive. Le va-et-vient entre ces deux réseaux a été mis en évidence pour la première fois en 2005, simultanément à l’institut Karolinska, à Stockholm en Suède, et à la faculté de médecine de Washington, aux États-Unis. La bascule de l’un à l’autre optimiserait le fonctionnement du cerveau et minimiserait l’énergie consommée.
Plus certainement, l’hypnose, par sa capacité à modifier la perception de la réalité, favorise la « flexibilité psychologique », soit notre aptitude à prendre du recul face à une situation donnée. « Car si l’on est trop en prise avec un problème, on fait obstacle à sa résolution, explique Antoine Bioy, professeur de psychologie clinique et psychopathologie à l’université Paris-VIII. C’est quand on accepte que la situation pourrait ne pas changer que l’on s’ouvre à une autre possibilité. » L’état hypnotique favorise ce processus. Il place dans une forme de perception globale dans laquelle nous recevons toutes les informations en même temps, sans fournir de signification. « Cet état de confusion permet de circuler d’un élément de la réalité à un autre sans avoir à justifier de liaisons. Il nous sort de notre manière habituelle d’opposer des pensées, de faire des choix. L’hypnose est ainsi un générateur de nouvelles solutions. »
Par Betty Mamane , journaliste scientifique.